Renverser la criminalisation pour renforcer la solidarité

Renverser la criminalisation pour renforcer la solidarité

Ces 20 et 27 novembre 2013 verront se dérouler deux procès en appel, à Bruxelles, à l’encontre d’activistes de deux collectifs de soutien aux migrants “sans-papiers”, le NoBorder et le Comité d’Actions et de Soutien (CAS).

Le premier procès concerne deux activistes qui ont participé, en septembre 2010, à une manifestation devant le centre fermé 127bis à l’occasion de la commémoration de l’assassinat de Semira Adamu. Sur place, les manifestants se sont retrouvés coincés par un dispositif policier disproportionné (brigades à cheval, brigades anti-émeutes). Lors de la dispersion de la manifestation, un policier est tombé de son cheval et s’est vraisemblablement blessé. Deux arrestations musclées d’activistes s’en sont suivies entrainant l’hospitalisation de l’un d’eux. Alors qu’aucun élément ne permettait d’établir la responsabilité de ces personnes dans la chute du policier, ceux-ci se sont néanmoins retrouvés inculpés pour « rébellion » et « rébellion armée ». En première instance, ces activistes ont été condamnés à 1 an d’emprisonnement avec 5 ans de sursis pour l’un et 6 mois  d’emprisonnement avec 5 ans de sursis pour l’autre.  Les dommages et intérêts qui pourraient être réclamés en cas de condamnation risquent eux d’être exhorbitants.  Le second procès concerne six activistes du Comité d’Actions et de Soutien aux migrants « sans-papiers » (CAS), un collectif fondé suite aux occupations de migrants « sans-papiers » sur le campus de l’Université libre de Bruxelles en 2008. Ceux-ci ont été poursuivis pour deux actions de soutien et de dénonciation, et ont été condamnés à un mois de prison avec un sursis de 3 ans et à verser des astreintes au fond de victimes de violences volontaires. Lors de la première action, quelques membres du CAS se sont opposés pacifiquement à la rafle de 54 migrants afghans et iraniens qui occupaient le hall du Commissariat Général aux Réfugiés et Apatrides (CGRA). Après une interpellation sans ménagement, trois membres du CAS ont été inculpés. Quelques mois plus tard, alors que la ministre de l’immigration de l’époque, Annemie Turtelboom (Open-VLD), demeurait sourde aux multiples demandes des collectifs de « sans-papiers » d’appliquer la circulaire gouvernementale sur les « Attaches Durables », 21 membres du CAS ont fait irruption dans un meeting de lancement de la campagne électorale des partis libéraux européens. Alors que ceux-ci quittaient pacifiquement les lieux, ils ont été violemment arrêtés. Six policiers se porteront partie civile pour réclamer des dommages et intérêts, alors que 6 activistes seront condamnés pour « rébellion ».

A différents niveaux, les Etats européens ne cessent chaque jour de criminaliser, traquer, rafler, enfermer et expulser des femmes, des hommes et des enfants qui n’ont commis d’autre tord que de ne pas disposer des papiers reconnus par les autorités publiques. Ces procès des 20 et 27 novembre sont la conséquence de la criminalisation de plus en plus systématique de la résistance légitime à une politique migratoire belge et européenne inhumaine et criminelle. Par ce procédé pervers, il s’agit en réalité de masquer la violence des politiques migratoires d’accueil des migrants « sans-papiers ». Dans ces procès, comme dans de nombreux autres, alors que les forces de l’ordre n’ont pas hésité à faire usage de violences physiques et verbales, il s’agit de renverser la responsabilité de l’exercice de la violence en faisant passer l’agresseur pour une victime. A travers les accusations floues et mal-définies, regroupées sous le concept juridique de « rébellion », il s’agit de fabriquer l’image d’un noyau dur et « anti-police ». Ce procédé vise à légitimer, a posteriori, l’exercice excessif de cette violence par la police. Ces procès, généralement instruits à charge des inculpés, sont l’occasion de cautionner une répression policière qui n’a d’autre but que de détruire les solidarités et les résistances. Ainsi déplacés sur la scène judiciaire, les actions de soutien aux migrants « sans-papiers » se trouvent coupées de leur contexte et vidées de leur portée politique. Cette tendance à la mise sous contrôle de la population et à la criminalisation des actions politiques s’accentue encore d’avantage avec le nouvel arsenal anti-terroriste qui permet de criminaliser l’ « intention » et plus seulement les actes commis.

Alors que les luttes menées par les migrants « sans-papiers » pour l’accès aux droits fondamentaux se poursuivent, alors que les afghans en lutte font l’objet d’une répression inacceptable, les politiques belges et européennes en matière d’immigration n’ont cessé de se durcir : non-respect du droit d’asile, dégradation des politiques d’accueil, militarisation du contrôle des frontières extérieures de l’Union Européenne, traque des migrants « sans-papiers » à l’intérieur des frontières, construction de nouveaux camps pour étrangers … Nos Etats qui mènent de nouvelles guerres (post)coloniales sous couvert de droits de l’homme n’hésitent pas à traquer, à rejeter dans la clandestinité voire expulser au risque de leur vie les ressortissants de ces pays lorsqu’ils arrivent chez nous pour obtenir un droit asile institué par divers conventions internationales. La mort régulière de migrants en Méditerranée, l’exploitation des travailleurs « sans-papiers », les traitements violent subis lors des rapatriements forcés sont la conséquence directe de ces politiques. Alors que les droits sociaux sont partout sacrifiés sur l’autel de l’austérité, l’Europe s’enferme de plus en plus dans une xénophobie nauséabonde dont l’islamophobie est aujourd’hui le signe le plus explicite.

Dans ce contexte délétère, nous disons avec les inculpés du No Border et du CAS, ainsi qu’avec les collectifs de migrants « sans-papiers» que l’on a raison de se révolter. On a raison de se révolter contre le sort réservé à ceux qui n’ont rien fait d’autre que de tenter d’échapper à ce qui est devenu invivable ailleurs, pour aller là où peut-être quelque chose sera possible. Afin de lutter contre la criminalisation des solidarités, un comité de soutien aux inculpés du C.A.S et du NoBorder s’est créé (http://comitedesoutienbxl.blog.com). Si celles et ceux qui sont aujourd’hui sous les coups de la justice sont poursuivis parce qu’ils ont réussi à produire une toute petite fêlure dans le sentiment d’impuissance qui nous est inculqué ; s’ils sont considérés comme dangereux parce que leurs actions pourraient en appeler d’autres et menacer un ordre public de plus en plus fondé sur la résignation, alors nous nous déclarons solidaires de ces actions ainsi que de toutes celles qui visent à transformer en profondeur les politiques d’accueil des étrangers « sans-papiers ». En conséquence, nous exigeons l’arrêt des rafles et des expulsions, la fermeture des centres fermés ainsi que la régularisation de toutes les personnes « sans-papiers ». Nous défendons l’institution d’un droit nouveau de la circulation des hommes, de leur résidence, de leur travail, de leur protection sociale, qui s’établisse par-dessus les frontières. Nous appelons à un grand rassemblement les 20 et 27 novembre prochains à partir de 9h devant le palais de justice de Bruxelles.

Le comité de soutien aux inculpés du NoBorder et du CAS