Les armes n’apporteront pas de stabilité, elles ne feront qu’alimenter la destruction et la mort. L’Union européenne doit soutenir la diplomatie, la démilitarisation et la paix.
Article original rédigé par Niamh Ni Bhriain (Niamh Ni Bhriain est la coordinatrice de la section Guerre et Pacification du Transnational Institute.)
https://www.opendemocracy.net/en/oureconomy/the-eu-is-wrong-to-arm-ukraine-heres-why/
3 mars 2022, 9h48
Quatre jours après que la Russie a illégalement envahi l’Ukraine, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé que l’UE allait « pour la toute première fois financer l’achat et la livraison d’armes […] à un pays victime d’attaques. » Quelques jours plus tôt, elle avait déclaré que l’UE formait « une union, une alliance » avec l’OTAN.
Contrairement à l’OTAN, l’UE n’est pas une alliance militaire. Pourtant, dès le début de cette guerre, elle a été plus préoccupée par le militarisme que par la diplomatie. Et ce ne fut pas une surprise.
Le traité de Lisbonne a fourni le fondement juridique sur lequel l’Union européenne a pu développer une politique de sécurité et de défense commune. Entre 2014 et 2020, quelque 25,6 milliards d’euros* provenant de l’argent public de l’UE ont été dépensés dans le renforcement de ses capacités militaires. Le budget de 2021-2027 a permis la création d’un Fonds européen de la défense de près de 8 milliards d’euros. Ce Fonds construit sur le modèle de deux programmes précurseurs a, pour la première fois, alloué des fonds de l’UE à la recherche et au développement de matériel militaire innovant, y compris des armes hautement controversées qui dépendent d’intelligence artificielle ou de systèmes automatisés. Le fonds européen de la défense ne représente qu’un seul aspect du budget de la défense qui est bien plus gros qu’il n’y paraît.
Les dépenses de l’UE sont représentatives de ses priorités et de sa façon de s’identifier comme projet politique. Au cours des dix dernières années, les problèmes politiques et sociaux ont de plus en plus été réglés par le biais de moyens militaires. Le retrait de missions humanitaires de la Méditerranée et leur remplacement par des drones de surveillance de haute technologie, qui ont entraîné 20 000 noyades depuis 2013 ne sont qu’un exemple parmi d’autres. En choisissant de financer le militarisme, l’Europe a provoqué une course à l’armement et a préparé le terrain pour la guerre.
Le vice-président de la Commission européenne et haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borell, a déclaré après l’invasion russe : « Un autre tabou d’après lequel l’Union européenne n’a pas fourni d’armes pendant la guerre est tombé. » J. Borell a confirmé que des armes mortelles seraient envoyées dans la zone de guerre et qu’elles seraient financées par la facilité européenne pour la paix. La guerre, semble-t-il, est bien la paix, comme le proclamait George Orwell dans « 1984. »
Les actions de l’Union européenne sont non seulement extrêmement irresponsables, mais elles reflètent également un manque de créativité dans sa méthode de réflexion. Est-ce réellement ce que l’UE peut faire de mieux dans un moment de crise ? Acheminer 500 millions d’euros d’armes mortelles vers un pays qui dispose déjà de 15 réacteurs nucléaires, où les citoyens appelés à se battre doivent utiliser tous les moyens à leur disposition, où les enfants fabriquent des cocktails Molotov et où le camp adverse a mis ses forces dissuasives nucléaires en état d’alerte ? Inciter l’armée ukrainienne à se procurer toutes les armes qu’elle veut ne fera qu’attiser la guerre.
Résistance non violente
Les demandes d’armes du gouvernement ukrainien et de son peuple sont compréhensibles et difficiles à ignorer. Mais, en fin de compte, les armes ne font que prolonger et aggraver les conflits. Par le passé, l’Ukraine a plusieurs fois eu recours à la résistance non violente, notamment lors de la Révolution orange de 2004 et lors de la révolution de Maïdan en 2013 et 2014. De plus, des actes de résistance civile non violente ont déjà lieu à travers tout le pays en réponse à l’invasion russe. Ces actes doivent être reconnus et soutenus par l’UE, qui, jusqu’à présent, s’est principalement concentrée sur la défense militarisée.
L’histoire a maintes et maintes fois montré que mêler des armes à des situations de conflit n’apporte pas de stabilité et que cela ne contribue pas nécessairement à une résistance efficace. En 2017, les États-Unis ont envoyé des armes fabriquées en Europe à l’Irak dans le combat contre l’état islamique et ces mêmes armes ont fini par atterrir chez des combattants de Daech lors de la bataille de Mossoul. Des armes fournies par une entreprise allemande à la police fédérale mexicaine sont tombées entre les mains d’un gang de crime organisé dans l’État de Guerrero et ont été utilisées dans le massacre de six personnes ainsi que dans la disparition forcée de 43 étudiants dans une affaire connue sous le nom des disparus d’Ayotzinapa. Après le retrait catastrophique des troupes américaines d’Afghanistan en août 2021, les talibans se sont emparés de quantités importantes de matériel militaire américain dont des hélicoptères, des avions et d’autres équipements provenant du trésor de guerre américain.
L’histoire a maintes et maintes fois montré que mêler des armes à des situations de conflit n’apporte pas de stabilité
D’innombrables exemples similaires montrent que les armes ne sont faites que pour un seul but, mais qu’elles finissent par en servir un autre. L’Ukraine en deviendra probablement le prochain exemple, le tout sous les yeux de l’Europe. Ces armes circuleront probablement beaucoup dans les prochaines années, ce qui alimentera davantage de conflits.
Ce choix d’armer l’Ukraine est encore plus imprudent lorsque l’on prend le timing en considération : pendant que les représentants de l’UE se réunissaient à Bruxelles, des représentants du gouvernement russe et du gouvernement ukrainien se rencontraient pour des pourparlers de paix en Biélorussie. Ensuite, l’UE a annoncé qu’elle allait accélérer le processus d’adhésion de l’Ukraine, une décision qui représente une provocation pour la Russie, mais aussi pour plusieurs États des Balkans qui s’efforcent depuis des années de remplir les critères d’adhésion de l’Union européenne.
S’il existait dimanche matin une perspective de paix, ne serait-ce que tacite, pourquoi l’UE n’a-t-elle pas appelé à un cessez-le-feu immédiat et poussé l’OTAN à réduire sa présence autour de l’Ukraine ? Pourquoi a-t-elle sapé les pourparlers de paix en démontrant sa force militaire et en promulguant un décret militaire ?
Ce « moment charnière » est l’aboutissement d’années de lobbying de l’industrie des armes, qui s’est stratégiquement positionnée, dans un premier temps, en tant qu’expert prétendument indépendant pour aiguiller le processus de décision de l’UE et ensuite, en tant que bénéficiaire quand l’argent a commencé à couler à flots. Cette situation n’était pas imprévisible, c’est exactement ce qui était censé se produire.
La rhétorique des responsables européens montre qu’ils sont captivés par la frénésie de la guerre. Ils ont complètement dissocié le déploiement d’armes mortelles de la mort et de la destruction qu’elles causent.
L’Union européenne doit immédiatement changer de trajectoire. Elle doit sortir du paradigme qui nous a menés ici et lancer un appel à la paix. Les enjeux d’un tel changement sont trop importants.
*Ce chiffre a été obtenu en additionnant les budgets du Fonds pour la Sécurité Intérieure : volet police ; du Fonds de Sécurité Intérieure : volet frontières et visas ; du Fonds asile, migration et intégration ; du financement des agences de l’UE pour la justice et les affaires intérieures ; du programme « Citoyens, égalité, droits et valeurs » ; du programme « L’Europe pour les citoyens » ; du programme « Horizon 2020 » ; du programme « Action préparatoire sur la recherche en matière de défense » ; du programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense (2018-20) ; du mécanisme Athéna et de la Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique.