Hommage à Pierre Debbaut

Pierre Debbaut est décédé.
Les causes de la non-violence et de l’objection de conscience en Belgique perdent un acteur de grand format, et nous un très vieil ami.
Né en 1931, mathématicien, assistant du professeur Papy dans la promotion de la « mathématique moderne », il avait demandé le statut d’objecteur de conscience après avoir accompli le service militaire. À cette époque, la loi ne prévoyait pas cette possibilité ; il a donc pris le risque d’être poursuivi et emprisonné, comme Jean Van Lierde l’avait fait vingt ans plus tôt. Son action a permis la modification de la loi en 1969 et il a pu alors bénéficier du statut.
Pierre et sa femme Marie-José Decock, « Majo » (qui l’a précédé dans notre souvenir affectueux), elle aussi « papyste », ont mené de front leurs carrières dans l’enseignement secondaire, l’éducation de leurs quatre enfants et leur engagement d’une extrême générosité dans l’accueil des jeunes aux « Camps de la Paix » qu’ils organisaient à leur ancienne ferme de Nobressart, près d’Arlon.
Militant de toujours au Mouvement international de la Réconciliation et à l’Internationale des Résistants à la guerre, auxquels a succédé Agir pour la Paix, Pierre en a jusqu’au bout accompagné les actions. Le 9 août dernier, il était encore à l’Université de Mons et au parc Hibakusha récemment réaménagé pour commémorer les abominations de Hiroshima et Nagasaki. Il avait d’ailleurs écrit, le 19 mai 2021, un très bon texte sur la problématique nucléaire ; on le lira en annexe.
Merci pour tout cela, Pierre.
Ta disparition nous rend encore plus responsables de répandre ton message en ce 21 septembre, journée mondiale consacrée à la paix.
Jean Louis et Jean
Jusqu’où irons-nous? (Texte de Pierre Debbaut écrit le 19/05/2021)
Beaucoup d’associations belges sont arrivées à s’unir pour lutter contre les armes nucléaires et ont manifesté leur volonté d’interdire la fabrication, la détention, le commerce et bien sûr l’utilisation des armes nucléaires. Cela n’a pas suffi. La Belgique n’a pas participé à l’élaboration du Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires ( TIAN ), et maintenant, elle ne le signe ni ne le ratifie pas. Notre parlement qui a voté une très belle loi sur l’interdiction de beaucoup d’armes en 2006 n’a jamais pris au sérieux la proposition du sénateur Philippe Mahoux d’ajouter à la liste des armes interdites celles qui utilisent l’énergie atomique. Cet attachement aux armes les plus redoutables d’aujourd’hui ne découle pas d’intentions belliqueuses de nos représentants, mais de l’évolution actuelle de notre société dont nous pouvons examiner certaines tendances.
Ceux qui se souviennent des années 37-39 ne peuvent oublier l’émotion, la réprobation et les craintes engendrées par le bombardement de Guernica par les avions allemands et italiens; Huit ans plus tard les bombes d’Hiroshima et de Nagasaki semblaient la conclusion normale d’une période troublée. Les années de guerre avaient remodelé nos esprits. La découverte des pires horreurs du nazisme nous aveuglait devant les dangers d’autres jugements globaux. La vision simpliste du temps de guerre (bon camp contre mauvais camp) tentait par sa simplicité. Il en reste encore des traces dans certains comportements.
Il faut maintenant étudier de près la situation actuelle. Une partie non négligeable de nos compatriotes ne sont guère préoccupés par les problèmes internationaux. On le comprend, depuis un an, la pandémie occupe la une de nos bulletins d’informations, Le monde continue à vivre cependant et les associations dont nous sommes membres prennent des décisions dont nous ne savons rien. Aujourd’hui le coronavirus accapare l’attention, mais il faut reconnaître qu’avant l’épidémie ce n’était guère mieux. Qui d’entre nous sait ce qui se décide au G8, au G20, a l’OTAN, à l’UE, à l’ONU et dans tant d’autres associations dont Jean Ziegler nous avait si bien expliqué le fonctionnement dans « Les nouveaux maîtres du monde « ?
Le comportement majoritaire de beaucoup d’êtres humains est lié à leur mauvaise connaissance du danger des armes atomiques. Comment expliquer autrement leur confiance en des engins fabriqués pour détruire ? L’appréciation de ce danger exige d’une part certaines connaissances scientifiques et d’autre part une conscience politique difficile à acquérir dans un monde où les crises se succèdent et où les informations sont souvent douteuses et conduisent parfois à des violences inimaginables. Dans le domaine des conflits armés, pensez à la vidéo qui a convaincu beaucoup de gens de la présence d’armes de destruction massive en Irak pour réactiver une guerre latente. Nous arrivons ici au point où la Coalition « no-nukes « pourrait agir. Depuis longtemps, je vois la nécessité d’agir. Je ne peux certainement rien faire seul, mais je vois trois chemins possibles, tous trois dangereux, mais qui pourraient dans une discussion faire découvrir une meilleure approche du problème.
- Organiser une grande soirée télévisée où des physiciens bien informés viendraient exposer quelques faits compréhensibles et convaincants et où des politiciens montreraient les obstacles qu’ils doivent affronter.
- Etablir un plan d’action à présenter aux mouvements pacifistes des autres pays de l’OTAN
- Fonder les bases d’une zone exempte d’armes nucléaires en Europe
Pour chacune de ces suggestions, il faut avoir une vue partiellement commune de la situation actuelle.
Voici quelques éléments que nous pourrions mettre en discussion :
Nous nous trouvons dans un monde où existe un autre traité, le TNP. Cet accord doit être préservé, nous en avons besoin. Mais il doit être effectivement appliqué. Il n’est pas acceptable que des pays qui n’appliquent pas les articles 1 et 6 proposent au Conseil de Sécurité de sanctionner ceux qui ne respectent pas les autres . De telles pratiques discréditent le traité.
La consultation des documents relatifs au TIAN met en lumière des pratiques bien connues qui rendent urgent un examen sérieux de l’ONU avec des associations d’États qui restaurent discrètement une espèce de colonisation.
Soyons plus précis, le point central est certainement la répartition des pouvoirs au sein de l’organisation. Le conseil de sécurité et ses cinq membres permanents détenteurs d’un droit de veto constituent une chambre d’injustice. Etats-Unis, Russie et Chine s’injurient et se menacent mais tombent d’accord pour sanctionner d’autres nations par des guerres ou des mesures économiques mais les sanctions frappent surtout des citoyens peu ou pas responsables des comportements qu’on reproche à leurs dirigeants. Remarquons au passage que l’hémisphère sud est absent de ce groupe des cinq !
Le point qui concerne le plus directement notre adhésion au TIAN est l’évolution de notre place dans l’OTAN. Comment sommes nous passés d’une association de défense d’un territoire à une prétention de diriger le monde? Qui nous a imposé un secrétaire général aveuglément pro-nucléaire? De discours en discours Jens Stoltenberg combat l’esprit et la lettre du TNP. Ce dernier traité apparaissait comme une tentative de débarrasser le monde d’un type d’armes de destruction massive qui de plus menaçaient gravement notre milieu de vie. Les Etats-Unis ont très vite violé le traité en installant des armes nucléaires dans d’autres pays. Ils ont ensuite trouvé en Europe un secrétaire général fanatique des armes nucléaires :
- Nous ne pouvons pas nous en passer s’il en reste dans d’autres pays.
- Nous ne pouvons pas nous engager à ne pas être les premiers à nous en servir.
- Ni à ne pas les utiliser contre des pays qui n’en possèdent pas.
Les représentants de nos pays ne réagissent pas.
Aucun pays de l’OTAN ne signe le TIAN ; croyez-vous qu’il n’y a pas d’ordres ? Que nous ne sommes pas une colonie US ?
Pierre Debbaut


